Thursday, December 11, 2008

J’ai droit à la santé… et pas seulement au travail

Toutes les provinces ont des lois qui garantissent la santé et la sécurité au travail. Elles empêchent l’exploitation des employés par les propriétaires d’entreprises et assurent que personne ne soit obligé de compromettre sa sécurité en venant travailler. Ce sont ces lois, par exemple, qui obligent les compagnies minières à faire baliser les chantiers pour prévenir les éboulements. Elles exigent aussi que les employés aient du matériel fonctionnel et un équipement de protection complet.

Ces lois sont toujours appliquées par les provinces et les compagnies qui les transgressent sont passibles de peines allant jusqu’à 50 000 $ au Québec et 500 000 en Ontario. Elles s’exposent aussi à des poursuites judiciaires qui sont parfois si importantes qu’elles finissent par les faire couler.

Si les employés ont droit à la santé et à la sécurité au travail, les simples citoyens, eux, ne sont pas protégés. Or il arrive souvent que des activités industrielles touchent autant la santé des ménages environnants que celle des travailleurs. Pensons à la ville de Thetford Mines où la concentration d’amiante dépasse les normes américaines dans cinquante pourcent des habitations, conséquence directe de l’exploitation de l’amiante dans des mines à ciel ouvert de la région. Les travailleurs des deux mines qui opèrent encore aujourd’hui sont protégés par un équipement spécialisé et des gigantesques filtres, mais les habitants de la ville sont condamnés à vivre dans des domiciles contaminés.

On observe une situation semblable en Alberta avec l’industrie du pétrole. L’explosion du prix du baril a rentabilisé l’exploitation auparavant impossible des sables bitumineux et de gisements de gaz sulfureux, deux activités aussi polluantes que dangereuses qui causent de graves problèmes de santé dans des régions rurales de la province. Depuis la construction de puits de gaz sulfureux dans les secteurs agricoles de Black Diamond et Turner Valley, on a observé une augmentation fulgurante du taux de sclérose en plaques qui atteint maintenant deux fois la moyenne nationale. Il y a aussi eu plusieurs décès, d’humains et de bovins, tous attribuables à des fuites de gaz sulfureux. Les fermiers ont bien quelques recours et ils peuvent poursuivre les pétrolières après la mort d’un proche, mais beaucoup d’entre eux préfèrent plier bagage.

Sur les berges de la rivière Athabasca, au pays des sables bitumineux, des communautés autochtones installées depuis des centaines d’années ont commencé à importer leur nourriture. L’eau de la rivière n’est plus potable et les poissons qui y vivent sont bourrés de métaux lourds. Certains villages sont dévastés par des épidémies de cancer. À Fort Chipewyan, 1200 âmes, le Globe and Mail rapporte que le nombre de cas identifiés de cancer du foie en 2005 équivaut à la moyenne annuelle dans une « grande métropole ». Tout ceci est la conséquence de l’exploitation des sables bitumineux. Les pétrolières prélèvent chaque année 450 millions de mètres cubes d’eau de la rivière Athabasca qu’elles utilisent pour séparer le pétrole brut du sable. Environ 10% de cette eau est renvoyée dans la rivière. Le reste se retrouve dans des lacs artificiels visibles depuis l’espace et si toxiques qu’il faut embaucher des tireurs d’élite pour éloigner les oiseaux. Évidemment, l’eau usée finit par se retrouver dans la nappe phréatique, mais les pétrolières disent que c’est un processus naturel…

Si cinquante employés d’une usine automobile mourraient d’un cancer à vingt-cinq ans, il y aurait scandale. Le gouvernement enquêterait, le syndicat lancerait des poursuites et la presse serait sans merci. Mais si ces cinquante jeunes sont des pêcheurs de Fort Chipewyan, un petit village inconnu, la presse oublie et la loi ferme les yeux. C’est précisément cette situation qu’il faut corriger.

Il existe déjà des lois qui interdisent les activités industrielles dangereuses pour la santé de la communauté. Le problème, c’est qu’elles sont rarement appliquées. Une usine doit pratiquement rejeter du gaz moutarde dans l’atmosphère pour que la justice s’y intéresse. Comme on le voit à Thetford Mines, même l’amiante n’est pas jugé assez toxique.

Il faut donc immédiatement mettre en place des commissions spéciales pour contrôler l’impact des activités industrielles sur la santé des simples citoyens. Elles doivent pouvoir répondre aux plaintes, mener des enquêtes scientifiques et ordonner des modifications dans la structure des sites industriels si nécessaire. Ces commissions ne devraient pas dépendre du gouvernement, car il est trop souvent en conflit d’intérêt. Ed Stelmach ne prescrira jamais de mesures sérieuses pour assurer la qualité de l’eau dans la rivière Athabasca car les revenus de son gouvernement dépendent des sables bitumineux. Dalton McGuinty ne fermera jamais la centrale de charbon de Nanticoke qu’il promet de remplacer depuis 2003 parce que les solutions de rechange sont trop coûteuses.

Évidemment, il faut être réaliste. Même si les gaz d’échappement d’automobiles causent des problèmes respiratoires, on ne peut pas les interdire. Il faut cibler surtout les grands pollueurs, les quelques sites industriels qui, à eux seuls, ont un impact néfaste mesurable sur la santé des communautés. Là aussi, il faut faire attention. On ne doit pas ordonner la fermeture de l’industrie du pétrole de l’Alberta parce qu’elle contamine la rivière Athabasca. Il faut avoir l’art du compromis : ordonner l’installation de filtres plus performants, faire ralentir la production, obliger l’utilisation de nouvelles technologies comme le Toe-to-Heel Air Injection (THAI) qui utilise une quantité négligeable d’eau et réduit les déchets de métaux lourds de 90%.

C’est facile de justifier la pollution si l’enjeu économique est assez important. Il suffit de recycler les mêmes arguments qui ont permis de défendre l’esclavage, le travail des enfants et l’exploitation des ouvriers. Or on a vu que les réformes du travail, loin de nuire aux industries, on plutôt permis de créer une classe moyenne de consommateurs motivés. Tout porte à croire que des réformes de la santé auront aussi un impact positif sur l’économie. Les travailleurs seront moins malade, plus heureux et donc, plus productifs.

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