Thursday, July 29, 2010

Un peu de Sartre

Je lis cette semaine une monumentale biographie de Jean-Paul Sartre écrite peu d'années après sa mort par Annie Cohen-Solal. Il s’agit d’une brique de 850 pages, saturée d’informations que je digère plus ou moins péniblement suivant mon état d’humeur. J’en suis presque à la page 650 et je pensais d'abord attendre la fin de ma lecture avant de vous en faire le résumé. Mais comme je me trouve à court de sujets, j’ai décidé de partager quelques conclusions anticipées de ma lecture.

Toute tentative de cerner la vie et l'œuvre d'un personnage comme Sartre dans message blog de 300 mots sera évidemment partielle et partiale. Je m’en tiendrai donc à quelques éléments -et pas nécessairement les plus fondamentaux- qui me viennent à l'esprit.

Dès ses premiers écrits, et tout au long de sa vie, Sartre se positionne en critique impitoyable et méprisant de la bourgeoisie. Or Sartre est lui-même issu d’un milieu des plus bourgeois : son père est polytechnicien, sa mère, dont le cousin germain n'est autre que le célébre Albert Schweitzer, descend d’une illustre famille alsacienne. Le petit Jean-Paul, fils unique, sera scolarisé dans les meilleurs établissements, d’abord au Lycée Henri IV, puis dans les classes préparatoires du Lycée Louis-le-Grand, avant d’intégrer l’École Normale Supérieure de la Rue d’Ulm. En parcourant les évènements de la vie de Sartre –et sans vouloir jouer au psychologue du dimanche-, on a l’impression que cette contradiction est assez mal vécue. Au Lycée, Sartre est le roi de rebelles, qui tente à tout prix de se démarquer des autres par ses calembours, sa gouaille et son toupet propre à choquer le bourgeois. Il attache très vite une importance primordiale à sa liberté d'homme, qu’il tentera par la suite de justifier philosophiquement. Est-ce vraiment un hasard si Sartre développe une philosophie où l’homme se définit par ce qu’il fait plutôt que par comment il nait, lorsqu'on sait qu'il aurait vraisemblablement préféré naitre dans des conditions plus modestes? Est-ce un hasard si Sartre s’acharnera tant contre Albert Camus, dont l’ascension fulgurante –Camus a grandi dans les quartiers les plus pauvres d’Alger, fils d’une femme de ménage analphabète- en est une que Sartre aurait certainement aimé vivre lui-même?

Autre côté essentiel du personnage : son obsession de l’écriture. Toute sa vie, il écrira un minimum de six heures par jour, même en vacances. Il écrit facilement quarante pages en une journée, et il accumule, en l’espace d’une année, plusieurs milliers de pages, dont seule une partie sera publiée. Sartre vit pour ses idées, pour écrire. On apprend par exemple qu’il refusait de se préoccuper de questions financières, pour la simple raison qu’elles lui faisaient perdre du temps qu’il préférait consacrer à l’écriture.

Sartre est animé d’une conscience sociale aiguë et d’une volonté d’être à l’écoute du peuple. Mais il n’est pas toujours très perspicace sur le plan politique. Ainsi, il passe toute l’année 1933 à Berlin sans mesurer le danger du phénomène nazi. Il se distancie du Parti communiste français après la guerre alors que la jeunesse française y adhérait en masse, mais il effectue un virage complet après avoir visité l’URSS en 1952, devenant pendant quatre ans ‘compagnon de route’ au moment précis où on commençait à prendre conscience des crimes de Staline et que le PCF perdait de sa popularité. C’est sans compter deux tentatives, très vite avortées, de former une cellule de résistance en 1940, et un nouveau parti politique en 1949.

Mais si Sartre manque de sens pratique et politique, il sait mieux que quiconque défendre les causes nobles par sa plume. Ainsi, il répond à une remontée de l’antisémitisme en France après la Seconde guerre mondiale par ses magistrales 'Réflexions sur la question juive'. Il devient plus tard l’ennemi juré du gouvernement français pendant la guerre d’Algérie, soutenant la cause des paysans algériens et condamnant avec sa hargne habituelle l’hypocrisie du colonialisme français.

Voilà donc quelques thèmes de la vie de Sartre, qu’il me sera peut-être nécessaire de compléter plus tard après la lecture des dernières pages de la biographie d’Annie Cohen-Solal.

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