Friday, August 6, 2010

Le Procès

Comme promis, je consacrerai cet article au Procès de Franz Kafka, livre qui m’a beaucoup plu, malgré sa fin légèrement décevante.

On se fait tous une idée assez personnelle de l’œuvre de Kafka. Auteur moderne, certainement. Auteur étrange, bien sûr. En me basant sur ma seule lecture du Procès –ce qui, évidemment, ne suffit certainement pas à tirer de conclusions générales sur son auteur-, j’avancerais que Kafka brouille les frontières entre la sensation et la réalité.

Quand nous avons très mal au ventre, nous croyons avoir le ventre en feu. Quand notre patron nous fait trop travailler, nous avons l’impression qu’il nous tient en bride ou qu’il nous fouette. Quand nous sommes perdus, il nous semble que toute la ville se referme sur nous. Chez Kafka, ces impressions sont intégrés, comme si de rien n’était, dans la trame du récit. Ainsi, le héros du Procès, à la fin d’une journée de travail tout à fait normale à la banque, trouve dans un placard trois hommes, le premier occupé à fouetter les deux autres… Cette très singulière apparition a un sens bien particulier et traduit certains sentiments du héros. Les métaphores les plus atroces qu'on invente pour décrire notre désespoir deviennent souvent réalité concrète pour Kafka.

Le Procès, récit aux péripéties bien absurde, est ainsi porteur d’idées et d’enseignements dont la richesse n’est qu'augmentée par l’effort d’interprétation qu’il faut nécessairement faire pour y accéder. En apparence, il s’agit de l'histoire bien invraisemblable d’un homme qui est injustement accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Mais il s’y cache une critique de la bureaucratie, et la description la plus vive du sentiment de parfaite impuissance qu'éprouvent tous ceux qui ont le malheur d’être à la merci d’une fonction publique opaque. (J’ai pensé que ce livre aurait une pertinence particulière pour les lecteurs français, qui ne manqueront pas de compâtir par expérience avec le pauvre Joesph K…, héros du roman de Kafka.) Il y a aussi le récit de la descente aux enfers d’un personnage tout à fait respectable, ni plus ni moins vertueux qu’un autre, qui a la malchance d’être offert en tribut à sa société avide de règles et de systèmes, comme les jeunes Athéniens qu’on sacrifiait au minotaure.

Voilà qui devrait suffire pour ce billet. Si je peux me permettre un dernier parallèle, qui choquera certainement, j'ai trouvé que Kafka écrit un peu comme Mahler compose, en ce que ses mélodies (ses péripéties, en l'occurrence) ne se terminent jamais comme on s'y attend. Et d'ailleurs, pour rajouter une dernière note musicale, j'ai réécouté Strawberry Fields Forever des Beatles, qui me plait nettement plus depuis ma lecture du Procès. Comme quoi Kafka à une drôle d'influence sur notre esprit!

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