Wednesday, August 25, 2010
Interruption
Je suis submergé par les préparatifs de mon départ pour les États-Unis samedi matin, ce qui explique pourquoi je n'ai pas mis à jour mon blog. Je ne serai vraisemblablement en mesure de reprendre qu'à partir de mardi prochain. D'ici là, à bientôt!
Monday, August 16, 2010
Vermeer
J'attends depuis bien longtemps de consacrer un billet à l’œuvre de Jan Vermeer. Comme j'ai commencé cette semaine à découvrir le 17ème siècle hollandais (par l'entremise de René Descartes…), j’ai pensé que le moment était bien choisi de dire quelques mots au sujet de ce peintre qui est l'un de mes préférés.
D’abord, quelques précisions biographiques. Vermeer est né à Delft en 1632 et mort en 1675. S’il n’appartient pas tout à fait à la génération de mon ami Descartes, il est en revanche le contemporain direct du non moins célèbre Spinoza (1632-1677). Élevé protestant, Vermeer se convertit à l'occasion de son mariage avec une catholique qui lui donnera d’ailleurs quatorze enfants. En Hollande protestante, les catholiques n’étaient pas persécutés comme ailleurs en Europe, mais ils avaient un devoir de discrétion. La religion semble avoir été importante pour Vermeer, ainsi qu'en témoigne son célèbre tableau du Metropolitan Museum of Art, l’Allégorie de la Foi (1670-74). Notez bien l’iconographie du tableau : le Christ sur la croix, la pomme et le serpent du pêché, écrasé ou éventré.
Vermeer est un peintre inégal. Il a peint certains de mes tableaux préférés, dans lesquels son génie éclate, incontestable. Citons simplement l’Art de la peinture, La Laitière, La Jeune Fille à la perle, parmi bien d’autres. Mais Vermeer, à l’opposé d’un Rembrandt dont la parfaite maitrise technique ressort même dans ses tableaux les moins célèbres, a peint nombre de tableaux qui paraissent, à mes yeux d’humble amateur, carrément ratés. On trouve des défauts de perspective évidents, des corps figés au modelé maladroit. Un gouffre sépare ses chefs-d’œuvre de ses tableaux moins connus. On sait que Vermeer était un habitué de la camera obscura. Or le maniement de cet instrument était, apparemment, loin d'aller de soi. On tient là peut-être l'explication des erreurs de perspective qui déparent trop souvent ses toiles.
De toute façon, il me semble que le génie de Vermeer réside surtout dans sa couleur. Évidemment, pour ce qui est de ses plus grands tableaux, tous les éléments sont présents: trait, couleur, composition. Mais de manière plus générale, ce qui fait aimer Vermeer, c’est surtout son génie de coloriste qui parvient à donner à des scènes bourgeoises, à l’apparence anodine, un caractère presque divin.
D’abord, quelques précisions biographiques. Vermeer est né à Delft en 1632 et mort en 1675. S’il n’appartient pas tout à fait à la génération de mon ami Descartes, il est en revanche le contemporain direct du non moins célèbre Spinoza (1632-1677). Élevé protestant, Vermeer se convertit à l'occasion de son mariage avec une catholique qui lui donnera d’ailleurs quatorze enfants. En Hollande protestante, les catholiques n’étaient pas persécutés comme ailleurs en Europe, mais ils avaient un devoir de discrétion. La religion semble avoir été importante pour Vermeer, ainsi qu'en témoigne son célèbre tableau du Metropolitan Museum of Art, l’Allégorie de la Foi (1670-74). Notez bien l’iconographie du tableau : le Christ sur la croix, la pomme et le serpent du pêché, écrasé ou éventré.
Vermeer est un peintre inégal. Il a peint certains de mes tableaux préférés, dans lesquels son génie éclate, incontestable. Citons simplement l’Art de la peinture, La Laitière, La Jeune Fille à la perle, parmi bien d’autres. Mais Vermeer, à l’opposé d’un Rembrandt dont la parfaite maitrise technique ressort même dans ses tableaux les moins célèbres, a peint nombre de tableaux qui paraissent, à mes yeux d’humble amateur, carrément ratés. On trouve des défauts de perspective évidents, des corps figés au modelé maladroit. Un gouffre sépare ses chefs-d’œuvre de ses tableaux moins connus. On sait que Vermeer était un habitué de la camera obscura. Or le maniement de cet instrument était, apparemment, loin d'aller de soi. On tient là peut-être l'explication des erreurs de perspective qui déparent trop souvent ses toiles.
De toute façon, il me semble que le génie de Vermeer réside surtout dans sa couleur. Évidemment, pour ce qui est de ses plus grands tableaux, tous les éléments sont présents: trait, couleur, composition. Mais de manière plus générale, ce qui fait aimer Vermeer, c’est surtout son génie de coloriste qui parvient à donner à des scènes bourgeoises, à l’apparence anodine, un caractère presque divin.
Thursday, August 12, 2010
Microéconomie
En annonçant la nouvelle orientation de mon blog, j’ai pris soin de préciser que je toucherais à plusieurs sujets différents. Or jusqu’à présent, j’ai surtout fait des critiques de livres. Il est temps d’apporter du neuf. J’ai donc décidé de consacrer ce billet à la microéconomie!
Je dois commencer par un aveu. Mes connaissances en microéconomie remontent à hier soir. Je viens à peine de terminer le premier chapitre d’un manuel d’introduction et il s’agit donc pour moi, en rédigeant ce message, de consolider mes nouvelles connaissances en les partageant avec vous.
L’économie, telle que je la conçois jusqu’à présent, s’intéresse aux mécanismes qui régissent la distribution des ressources rares dont disposent les individus et les sociétés. La microéconomie place l’individu au centre de son étude. Elle cherche à comprendre comment une entité indépendante (un consommateur, une entreprise) dispose des ressources auxquelles elle a accès de façon à en tirer un bénéfice maximum. La macroéconomie s’intéresse plutôt aux phénomènes de groupe. Elle étudie l’impact de mesures communes (hausse des taux d’intérêts, baisse du niveau d’imposition) sur les collectivités. La microéconomie est évidemment une science vaste, mais qui repose, selon mon manuel, sur les trois concepts suivants.
L’optimisation : Les ressources sont limitées et l’individu choisit donc celles dont il a le plus besoin. Il cherche évidemment à trouver la combinaison optimale, c'est-à-dire celle qui lui apportera le plus grand bien-être. Par exemple, un écolier qui dispose de cinq dollars pour s’acheter des friandises cherchera à trouver la combinaison de chocolats, bonbons et fruits secs qui lui procurera le plus grand plaisir gustatif. Mais évidemment, il ne peut dépasser ses cinq dollars : c’est cette contrainte qui fait le problème économique. L’optimisation, en économie, est toujours restreinte. (C’est pourquoi on parle d’optimisation restreinte)
L’équilibre : Lorsque, à un prix donné, l’offre et la demande sont égales, ont dit que le système économique est en état d’équilibre. Cela signifie que l’offre, la demande et le prix par unité resteront constants jusqu’à ce qu’un événement extérieur vienne perturber le système, qui cherchera alors à se rééquilibrer. À chaque prix correspondent une offre et une demande. Par exemple, il y a très peu d’entreprises qui seraient prêtes à nous vendre des voitures à 1000 $, mais beaucoup de consommateurs qui auraient envie d’en acheter. De même, il y a beaucoup de concessionnaires qui aimeraient nous vendre des Honda à 100 000 $ pièce, mais peu de gens seraient assez dupes pour les acheter.
L’analyse statique : Lorsqu’un phénomène extérieur vient modifier l’offre ou la demande, l’équilibre initial du système économique est perturbé. Le système trouve donc un nouveau point d’équilibre, en fonction de la modification de l’offre ou la demande. Or, dans les cas (habituels) où la perturbation modifie l’offre sans toucher la demande, ou modifie la demande sans toucher l’offre, il devient possible de comparer les systèmes économiques avant et après la perturbation pour en tirer certaines conclusions qu’il m’est impossible, là où j’en suis dans ma découverte, de développer. C’est ce qu’on appelle l’analyse statique.
Je dois commencer par un aveu. Mes connaissances en microéconomie remontent à hier soir. Je viens à peine de terminer le premier chapitre d’un manuel d’introduction et il s’agit donc pour moi, en rédigeant ce message, de consolider mes nouvelles connaissances en les partageant avec vous.
L’économie, telle que je la conçois jusqu’à présent, s’intéresse aux mécanismes qui régissent la distribution des ressources rares dont disposent les individus et les sociétés. La microéconomie place l’individu au centre de son étude. Elle cherche à comprendre comment une entité indépendante (un consommateur, une entreprise) dispose des ressources auxquelles elle a accès de façon à en tirer un bénéfice maximum. La macroéconomie s’intéresse plutôt aux phénomènes de groupe. Elle étudie l’impact de mesures communes (hausse des taux d’intérêts, baisse du niveau d’imposition) sur les collectivités. La microéconomie est évidemment une science vaste, mais qui repose, selon mon manuel, sur les trois concepts suivants.
L’optimisation : Les ressources sont limitées et l’individu choisit donc celles dont il a le plus besoin. Il cherche évidemment à trouver la combinaison optimale, c'est-à-dire celle qui lui apportera le plus grand bien-être. Par exemple, un écolier qui dispose de cinq dollars pour s’acheter des friandises cherchera à trouver la combinaison de chocolats, bonbons et fruits secs qui lui procurera le plus grand plaisir gustatif. Mais évidemment, il ne peut dépasser ses cinq dollars : c’est cette contrainte qui fait le problème économique. L’optimisation, en économie, est toujours restreinte. (C’est pourquoi on parle d’optimisation restreinte)
L’équilibre : Lorsque, à un prix donné, l’offre et la demande sont égales, ont dit que le système économique est en état d’équilibre. Cela signifie que l’offre, la demande et le prix par unité resteront constants jusqu’à ce qu’un événement extérieur vienne perturber le système, qui cherchera alors à se rééquilibrer. À chaque prix correspondent une offre et une demande. Par exemple, il y a très peu d’entreprises qui seraient prêtes à nous vendre des voitures à 1000 $, mais beaucoup de consommateurs qui auraient envie d’en acheter. De même, il y a beaucoup de concessionnaires qui aimeraient nous vendre des Honda à 100 000 $ pièce, mais peu de gens seraient assez dupes pour les acheter.
L’analyse statique : Lorsqu’un phénomène extérieur vient modifier l’offre ou la demande, l’équilibre initial du système économique est perturbé. Le système trouve donc un nouveau point d’équilibre, en fonction de la modification de l’offre ou la demande. Or, dans les cas (habituels) où la perturbation modifie l’offre sans toucher la demande, ou modifie la demande sans toucher l’offre, il devient possible de comparer les systèmes économiques avant et après la perturbation pour en tirer certaines conclusions qu’il m’est impossible, là où j’en suis dans ma découverte, de développer. C’est ce qu’on appelle l’analyse statique.
Tuesday, August 10, 2010
Germinal
Vous me pardonnerez bien le léger retard dans la publication de ce billet. J’ai fait une merveilleuse découverte littéraire en lisant Germinal d’Émile Zola. Sans aller jusqu’à en faire le plus grand roman que j’ai lu de ma vie, il est certainement parmi les cinq premiers (ne me demandez pas de citer les quatre autres). C’est surtout le roman le plus complet. Tous les éléments du chef-d’œuvre y sont présents: l’intrigue est géniale, les personnages inoubliables, le suspense est omniprésent et la richesse de l’écriture est nettement supérieure à tout ce que j’avais lu chez Zola précédemment.
C’est en lisant Germinal que j’ai enfin compris l’immense valeur du naturalisme de Zola. Le roman se déroule dans une mine de charbon en pleine révolution industrielle. Zola nous décrit un monde complexe de pauvreté, d’amours et de haines, avec une précision méthodique qui confronte le lecteur à la misère dans sa forme la plus crue. Aucun détail n’est épargné. Les familles de sept enfants tassées sur trois lits dans une chambre. Les filles qui accouchent à 14 ans, violées impunément par un voisin. La misère est bestiale, mais Zola se garde de faire du misérabilisme. Zola décrit, tout. Et cette description fait comprendre, et donc réfléchir.
Un grand roman, à mon avis, doit faire mûrir son lecteur. Germinal est un roman d’action et de réflexion. Il suscite le questionnement. Il a la même richesse philosophique que les Frères Karamazov, sans en avoir les longueurs. Zola pose le grand problème de l’action politique: la fin justifie-t-elle les moyens? Il initie aux courants de la pensée politique du 19ème siècle. Il rend facilement compréhensible l’engouement général des travailleurs européens pour le communisme. Il fait une plaidoirie magistrale pour la pertinence des sciences économiques, et donne envie de les étudier. Et il parvient enfin à toucher la sensibilité du lecteur par ses personnages profondément humains. Et tout ça sans effort apparent. Zola raconte, Zola décrit, un point c’est tout.
C’est en lisant Germinal que j’ai enfin compris l’immense valeur du naturalisme de Zola. Le roman se déroule dans une mine de charbon en pleine révolution industrielle. Zola nous décrit un monde complexe de pauvreté, d’amours et de haines, avec une précision méthodique qui confronte le lecteur à la misère dans sa forme la plus crue. Aucun détail n’est épargné. Les familles de sept enfants tassées sur trois lits dans une chambre. Les filles qui accouchent à 14 ans, violées impunément par un voisin. La misère est bestiale, mais Zola se garde de faire du misérabilisme. Zola décrit, tout. Et cette description fait comprendre, et donc réfléchir.
Un grand roman, à mon avis, doit faire mûrir son lecteur. Germinal est un roman d’action et de réflexion. Il suscite le questionnement. Il a la même richesse philosophique que les Frères Karamazov, sans en avoir les longueurs. Zola pose le grand problème de l’action politique: la fin justifie-t-elle les moyens? Il initie aux courants de la pensée politique du 19ème siècle. Il rend facilement compréhensible l’engouement général des travailleurs européens pour le communisme. Il fait une plaidoirie magistrale pour la pertinence des sciences économiques, et donne envie de les étudier. Et il parvient enfin à toucher la sensibilité du lecteur par ses personnages profondément humains. Et tout ça sans effort apparent. Zola raconte, Zola décrit, un point c’est tout.
Friday, August 6, 2010
Le Procès
Comme promis, je consacrerai cet article au Procès de Franz Kafka, livre qui m’a beaucoup plu, malgré sa fin légèrement décevante.
On se fait tous une idée assez personnelle de l’œuvre de Kafka. Auteur moderne, certainement. Auteur étrange, bien sûr. En me basant sur ma seule lecture du Procès –ce qui, évidemment, ne suffit certainement pas à tirer de conclusions générales sur son auteur-, j’avancerais que Kafka brouille les frontières entre la sensation et la réalité.
Quand nous avons très mal au ventre, nous croyons avoir le ventre en feu. Quand notre patron nous fait trop travailler, nous avons l’impression qu’il nous tient en bride ou qu’il nous fouette. Quand nous sommes perdus, il nous semble que toute la ville se referme sur nous. Chez Kafka, ces impressions sont intégrés, comme si de rien n’était, dans la trame du récit. Ainsi, le héros du Procès, à la fin d’une journée de travail tout à fait normale à la banque, trouve dans un placard trois hommes, le premier occupé à fouetter les deux autres… Cette très singulière apparition a un sens bien particulier et traduit certains sentiments du héros. Les métaphores les plus atroces qu'on invente pour décrire notre désespoir deviennent souvent réalité concrète pour Kafka.
Le Procès, récit aux péripéties bien absurde, est ainsi porteur d’idées et d’enseignements dont la richesse n’est qu'augmentée par l’effort d’interprétation qu’il faut nécessairement faire pour y accéder. En apparence, il s’agit de l'histoire bien invraisemblable d’un homme qui est injustement accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Mais il s’y cache une critique de la bureaucratie, et la description la plus vive du sentiment de parfaite impuissance qu'éprouvent tous ceux qui ont le malheur d’être à la merci d’une fonction publique opaque. (J’ai pensé que ce livre aurait une pertinence particulière pour les lecteurs français, qui ne manqueront pas de compâtir par expérience avec le pauvre Joesph K…, héros du roman de Kafka.) Il y a aussi le récit de la descente aux enfers d’un personnage tout à fait respectable, ni plus ni moins vertueux qu’un autre, qui a la malchance d’être offert en tribut à sa société avide de règles et de systèmes, comme les jeunes Athéniens qu’on sacrifiait au minotaure.
Voilà qui devrait suffire pour ce billet. Si je peux me permettre un dernier parallèle, qui choquera certainement, j'ai trouvé que Kafka écrit un peu comme Mahler compose, en ce que ses mélodies (ses péripéties, en l'occurrence) ne se terminent jamais comme on s'y attend. Et d'ailleurs, pour rajouter une dernière note musicale, j'ai réécouté Strawberry Fields Forever des Beatles, qui me plait nettement plus depuis ma lecture du Procès. Comme quoi Kafka à une drôle d'influence sur notre esprit!
On se fait tous une idée assez personnelle de l’œuvre de Kafka. Auteur moderne, certainement. Auteur étrange, bien sûr. En me basant sur ma seule lecture du Procès –ce qui, évidemment, ne suffit certainement pas à tirer de conclusions générales sur son auteur-, j’avancerais que Kafka brouille les frontières entre la sensation et la réalité.
Quand nous avons très mal au ventre, nous croyons avoir le ventre en feu. Quand notre patron nous fait trop travailler, nous avons l’impression qu’il nous tient en bride ou qu’il nous fouette. Quand nous sommes perdus, il nous semble que toute la ville se referme sur nous. Chez Kafka, ces impressions sont intégrés, comme si de rien n’était, dans la trame du récit. Ainsi, le héros du Procès, à la fin d’une journée de travail tout à fait normale à la banque, trouve dans un placard trois hommes, le premier occupé à fouetter les deux autres… Cette très singulière apparition a un sens bien particulier et traduit certains sentiments du héros. Les métaphores les plus atroces qu'on invente pour décrire notre désespoir deviennent souvent réalité concrète pour Kafka.
Le Procès, récit aux péripéties bien absurde, est ainsi porteur d’idées et d’enseignements dont la richesse n’est qu'augmentée par l’effort d’interprétation qu’il faut nécessairement faire pour y accéder. En apparence, il s’agit de l'histoire bien invraisemblable d’un homme qui est injustement accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Mais il s’y cache une critique de la bureaucratie, et la description la plus vive du sentiment de parfaite impuissance qu'éprouvent tous ceux qui ont le malheur d’être à la merci d’une fonction publique opaque. (J’ai pensé que ce livre aurait une pertinence particulière pour les lecteurs français, qui ne manqueront pas de compâtir par expérience avec le pauvre Joesph K…, héros du roman de Kafka.) Il y a aussi le récit de la descente aux enfers d’un personnage tout à fait respectable, ni plus ni moins vertueux qu’un autre, qui a la malchance d’être offert en tribut à sa société avide de règles et de systèmes, comme les jeunes Athéniens qu’on sacrifiait au minotaure.
Voilà qui devrait suffire pour ce billet. Si je peux me permettre un dernier parallèle, qui choquera certainement, j'ai trouvé que Kafka écrit un peu comme Mahler compose, en ce que ses mélodies (ses péripéties, en l'occurrence) ne se terminent jamais comme on s'y attend. Et d'ailleurs, pour rajouter une dernière note musicale, j'ai réécouté Strawberry Fields Forever des Beatles, qui me plait nettement plus depuis ma lecture du Procès. Comme quoi Kafka à une drôle d'influence sur notre esprit!
Tuesday, August 3, 2010
L'Étranger
Après avoir dégusté La Peste, j’ai voulu gouter à L’Étranger. Je m’attendais à un régal, mais je reste sur ma faim.
On connait l'intrigue: Meursault, citoyen de l’Algérie française, est inculpé pour le meurtre d’un arabe. Son cas présente des circonstances atténuantes claires, mais il est entrainé par la machinerie infernale du système judiciaire et finit par être condamné à la guillotine au terme d’un faux-procès qui jugera ses mœurs plutôt son crime.
L'histoire de Meursault doit nous amener à réfléchir sur l'absurdité des conventions vsociales et des institutions publiques. Ce n'est pas mal réussi, mais après une lecture unique, sommaire et superficielle, j'ai deux réticences.
D'abord, réticence esthétique sur le personnage de Meursault. À la fois narrateur et personnage principal, Meursault est le sujet et l'objet du roman. Tout dépend de lui. Or Meursault est un personnage qui me parait artificiel, dans la mesure où il existe simplement pour permettre à Camus d'illustrer l'absurdité du monde, thème de son roman. Meursault n'est pas un personnage vrai: il se borne à subir les événements, réagissant comme il le peut, mais sans jamais réfléchir proactivement, et sans faire preuve du moindre sens commun. C'est bien ce qui est fait un personnage idéal pour cerner et illustrer l'absurdité, mais c'est aussi ce qui en fait un personnage avec lequel il est très difficile de compatir. Il parait tellement retiré de la réalité qui l'entoure qu'il en devient presque inhumain.
Et ensuite, réticence classique chez votre serviteur: le livre manque d'action. Évidemment, il ne fait même pas 200 pages, mais le suspense qui était si habilement entretenu dans La Peste, dès le tout premier chapitre, manque au rendez-vous. L'art d'écrire un livre palpitant où il ne se passe rien a captivé trop d'auteurs au vingtième siècle. Peu y sont arrivé. Dans mon prochain message, je traiterai d'une des exceptions: Le Procès de Kafka. Je ne suis encore qu'à mi-chemin dans cette lecture, mais je ne décroche pas!
On connait l'intrigue: Meursault, citoyen de l’Algérie française, est inculpé pour le meurtre d’un arabe. Son cas présente des circonstances atténuantes claires, mais il est entrainé par la machinerie infernale du système judiciaire et finit par être condamné à la guillotine au terme d’un faux-procès qui jugera ses mœurs plutôt son crime.
L'histoire de Meursault doit nous amener à réfléchir sur l'absurdité des conventions vsociales et des institutions publiques. Ce n'est pas mal réussi, mais après une lecture unique, sommaire et superficielle, j'ai deux réticences.
D'abord, réticence esthétique sur le personnage de Meursault. À la fois narrateur et personnage principal, Meursault est le sujet et l'objet du roman. Tout dépend de lui. Or Meursault est un personnage qui me parait artificiel, dans la mesure où il existe simplement pour permettre à Camus d'illustrer l'absurdité du monde, thème de son roman. Meursault n'est pas un personnage vrai: il se borne à subir les événements, réagissant comme il le peut, mais sans jamais réfléchir proactivement, et sans faire preuve du moindre sens commun. C'est bien ce qui est fait un personnage idéal pour cerner et illustrer l'absurdité, mais c'est aussi ce qui en fait un personnage avec lequel il est très difficile de compatir. Il parait tellement retiré de la réalité qui l'entoure qu'il en devient presque inhumain.
Et ensuite, réticence classique chez votre serviteur: le livre manque d'action. Évidemment, il ne fait même pas 200 pages, mais le suspense qui était si habilement entretenu dans La Peste, dès le tout premier chapitre, manque au rendez-vous. L'art d'écrire un livre palpitant où il ne se passe rien a captivé trop d'auteurs au vingtième siècle. Peu y sont arrivé. Dans mon prochain message, je traiterai d'une des exceptions: Le Procès de Kafka. Je ne suis encore qu'à mi-chemin dans cette lecture, mais je ne décroche pas!
Thursday, July 29, 2010
Un peu de Sartre
Je lis cette semaine une monumentale biographie de Jean-Paul Sartre écrite peu d'années après sa mort par Annie Cohen-Solal. Il s’agit d’une brique de 850 pages, saturée d’informations que je digère plus ou moins péniblement suivant mon état d’humeur. J’en suis presque à la page 650 et je pensais d'abord attendre la fin de ma lecture avant de vous en faire le résumé. Mais comme je me trouve à court de sujets, j’ai décidé de partager quelques conclusions anticipées de ma lecture.
Toute tentative de cerner la vie et l'œuvre d'un personnage comme Sartre dans message blog de 300 mots sera évidemment partielle et partiale. Je m’en tiendrai donc à quelques éléments -et pas nécessairement les plus fondamentaux- qui me viennent à l'esprit.
Dès ses premiers écrits, et tout au long de sa vie, Sartre se positionne en critique impitoyable et méprisant de la bourgeoisie. Or Sartre est lui-même issu d’un milieu des plus bourgeois : son père est polytechnicien, sa mère, dont le cousin germain n'est autre que le célébre Albert Schweitzer, descend d’une illustre famille alsacienne. Le petit Jean-Paul, fils unique, sera scolarisé dans les meilleurs établissements, d’abord au Lycée Henri IV, puis dans les classes préparatoires du Lycée Louis-le-Grand, avant d’intégrer l’École Normale Supérieure de la Rue d’Ulm. En parcourant les évènements de la vie de Sartre –et sans vouloir jouer au psychologue du dimanche-, on a l’impression que cette contradiction est assez mal vécue. Au Lycée, Sartre est le roi de rebelles, qui tente à tout prix de se démarquer des autres par ses calembours, sa gouaille et son toupet propre à choquer le bourgeois. Il attache très vite une importance primordiale à sa liberté d'homme, qu’il tentera par la suite de justifier philosophiquement. Est-ce vraiment un hasard si Sartre développe une philosophie où l’homme se définit par ce qu’il fait plutôt que par comment il nait, lorsqu'on sait qu'il aurait vraisemblablement préféré naitre dans des conditions plus modestes? Est-ce un hasard si Sartre s’acharnera tant contre Albert Camus, dont l’ascension fulgurante –Camus a grandi dans les quartiers les plus pauvres d’Alger, fils d’une femme de ménage analphabète- en est une que Sartre aurait certainement aimé vivre lui-même?
Autre côté essentiel du personnage : son obsession de l’écriture. Toute sa vie, il écrira un minimum de six heures par jour, même en vacances. Il écrit facilement quarante pages en une journée, et il accumule, en l’espace d’une année, plusieurs milliers de pages, dont seule une partie sera publiée. Sartre vit pour ses idées, pour écrire. On apprend par exemple qu’il refusait de se préoccuper de questions financières, pour la simple raison qu’elles lui faisaient perdre du temps qu’il préférait consacrer à l’écriture.
Sartre est animé d’une conscience sociale aiguë et d’une volonté d’être à l’écoute du peuple. Mais il n’est pas toujours très perspicace sur le plan politique. Ainsi, il passe toute l’année 1933 à Berlin sans mesurer le danger du phénomène nazi. Il se distancie du Parti communiste français après la guerre alors que la jeunesse française y adhérait en masse, mais il effectue un virage complet après avoir visité l’URSS en 1952, devenant pendant quatre ans ‘compagnon de route’ au moment précis où on commençait à prendre conscience des crimes de Staline et que le PCF perdait de sa popularité. C’est sans compter deux tentatives, très vite avortées, de former une cellule de résistance en 1940, et un nouveau parti politique en 1949.
Mais si Sartre manque de sens pratique et politique, il sait mieux que quiconque défendre les causes nobles par sa plume. Ainsi, il répond à une remontée de l’antisémitisme en France après la Seconde guerre mondiale par ses magistrales 'Réflexions sur la question juive'. Il devient plus tard l’ennemi juré du gouvernement français pendant la guerre d’Algérie, soutenant la cause des paysans algériens et condamnant avec sa hargne habituelle l’hypocrisie du colonialisme français.
Voilà donc quelques thèmes de la vie de Sartre, qu’il me sera peut-être nécessaire de compléter plus tard après la lecture des dernières pages de la biographie d’Annie Cohen-Solal.
Toute tentative de cerner la vie et l'œuvre d'un personnage comme Sartre dans message blog de 300 mots sera évidemment partielle et partiale. Je m’en tiendrai donc à quelques éléments -et pas nécessairement les plus fondamentaux- qui me viennent à l'esprit.
Dès ses premiers écrits, et tout au long de sa vie, Sartre se positionne en critique impitoyable et méprisant de la bourgeoisie. Or Sartre est lui-même issu d’un milieu des plus bourgeois : son père est polytechnicien, sa mère, dont le cousin germain n'est autre que le célébre Albert Schweitzer, descend d’une illustre famille alsacienne. Le petit Jean-Paul, fils unique, sera scolarisé dans les meilleurs établissements, d’abord au Lycée Henri IV, puis dans les classes préparatoires du Lycée Louis-le-Grand, avant d’intégrer l’École Normale Supérieure de la Rue d’Ulm. En parcourant les évènements de la vie de Sartre –et sans vouloir jouer au psychologue du dimanche-, on a l’impression que cette contradiction est assez mal vécue. Au Lycée, Sartre est le roi de rebelles, qui tente à tout prix de se démarquer des autres par ses calembours, sa gouaille et son toupet propre à choquer le bourgeois. Il attache très vite une importance primordiale à sa liberté d'homme, qu’il tentera par la suite de justifier philosophiquement. Est-ce vraiment un hasard si Sartre développe une philosophie où l’homme se définit par ce qu’il fait plutôt que par comment il nait, lorsqu'on sait qu'il aurait vraisemblablement préféré naitre dans des conditions plus modestes? Est-ce un hasard si Sartre s’acharnera tant contre Albert Camus, dont l’ascension fulgurante –Camus a grandi dans les quartiers les plus pauvres d’Alger, fils d’une femme de ménage analphabète- en est une que Sartre aurait certainement aimé vivre lui-même?
Autre côté essentiel du personnage : son obsession de l’écriture. Toute sa vie, il écrira un minimum de six heures par jour, même en vacances. Il écrit facilement quarante pages en une journée, et il accumule, en l’espace d’une année, plusieurs milliers de pages, dont seule une partie sera publiée. Sartre vit pour ses idées, pour écrire. On apprend par exemple qu’il refusait de se préoccuper de questions financières, pour la simple raison qu’elles lui faisaient perdre du temps qu’il préférait consacrer à l’écriture.
Sartre est animé d’une conscience sociale aiguë et d’une volonté d’être à l’écoute du peuple. Mais il n’est pas toujours très perspicace sur le plan politique. Ainsi, il passe toute l’année 1933 à Berlin sans mesurer le danger du phénomène nazi. Il se distancie du Parti communiste français après la guerre alors que la jeunesse française y adhérait en masse, mais il effectue un virage complet après avoir visité l’URSS en 1952, devenant pendant quatre ans ‘compagnon de route’ au moment précis où on commençait à prendre conscience des crimes de Staline et que le PCF perdait de sa popularité. C’est sans compter deux tentatives, très vite avortées, de former une cellule de résistance en 1940, et un nouveau parti politique en 1949.
Mais si Sartre manque de sens pratique et politique, il sait mieux que quiconque défendre les causes nobles par sa plume. Ainsi, il répond à une remontée de l’antisémitisme en France après la Seconde guerre mondiale par ses magistrales 'Réflexions sur la question juive'. Il devient plus tard l’ennemi juré du gouvernement français pendant la guerre d’Algérie, soutenant la cause des paysans algériens et condamnant avec sa hargne habituelle l’hypocrisie du colonialisme français.
Voilà donc quelques thèmes de la vie de Sartre, qu’il me sera peut-être nécessaire de compléter plus tard après la lecture des dernières pages de la biographie d’Annie Cohen-Solal.
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